Sortir Bordeaux Gironde : Alors, ça fait quoi d'avoir 20 ans ?
Didier Estèbe
: En fait, je me rappelle de mes 20 ans à moi... c'est à la fois un peu pareil, et pas vraiment la même chose pour une salle. Quand t'as 20 ans, t'es awake, t'as encore tout à faire... pour la salle, on est parti de rien, alors quand on voit tout ce qui a été fait, tous les gens accueillis ici, je suis content, fier aussi. Sachant que ce n'est pas Didier Estèbe qui l'a fait seul, ce sont d'abord des rencontres, les gens passés par l'asso Transrock (qui gère le Kraka), tous les salariés, beaucoup de personnes qui ont participé au projet... c'est un tout, un faisceau de volontés qui ont participé au développement de l'ensemble.

Sortir : Comment tu t'es lancé dans le projet ?
Didier
: Les débuts, c'est toujours un peu pareil : avoir l'idée c'est bien, la réaliser c'est autre chose. D'ailleurs, je me suis ramassé à Bordeaux avant d'affiner le projet et le lancer à Mérignac, pas forcément évident d'ailleurs, car lancer une salle il y a 20 ans, c'était pas à la mode comme aujourd'hui. Chapeau donc au maire, Michel Sainte-Marie : pas vraiment un rockeur patenté, mais un esprit ouvert, qui nous a suivi sur le projet de salle des fêtes d'Arlac, à un moment où naissait également le Pin Galant. Et puis il y a aussi tous les institutionnels partenaires : sans eux, le Krakatoa n'existerait pas. Merci aussi aux musiciens qui sont venus, au public aussi : un concert, c'est des gens sur scène, des gens dans la salle et des choses qui passent, ou pas... on a fait le compte, en 20 ans, environ 500 000 spectateurs sont passés par le Krakatoa.

Sortir : Et donc, quels gros souvenirs ?
Didier
: J'ai pas un gros souvenir, en 20 ans et plus de 500 concerts, tu peux pas... avoir un seul gros souvenir, ce serait une connerie. Plutôt plusieurs gros moments, Nick Cave, Noir Désir, Zita Swoon, Maceo Parker (parrain du Kraka), ils m'ont électrocuté... dernièrement Elysian Fields, une première partie aussi, Julien Pras, des grands moments d'émotion. Toute la scène jamaïcaine est également passée par chez nous...

Sortir : C'est quoi le truc, niveau prog' ?
Didier
: Essayer de recevoir des groupes issus de toutes les tribus... j'aime bien la comparaison des musiques actuelles avec les tribus d'Amérique. On a essayé de proposer ce qui nous semblait le plus intéressant dans chacune des tribus : ça veut dire des groupes très connus et des plus "petits" mais aussi intéressants... quelque chose de gérable grâce aux multiples jauges et formats de la salle. Sinon, quand on fait le bilan, à part Bob Marley ou (plus récent) Alain Bashung, on a eu beaucoup d'artistes qu'on avait envie d'avoir. Et en la matière, on aime bien aussi les gens qui ont de la mémoire : par exemple Louise Attaque, la première fois, c'était 186 personnes... un an plus tard, la salle était gavée. Mais bon, la fréquentation ne reflète pas forcément la qualité du concert : par exemple Shannon Wright sur scène, c'est particulièrement fort... mais elle remplit pas un Zénith.

Sortir : Et concernant la Pépinière ?
Didier
: Là-aussi, on a des groupes passés par chez nous qui ont fait leur chemin derrière : Les Hurlements (d'Léo), Rageous Gratoons, les Shaolin (Temple Defenders), Eric Bling... Cette pépinière, comme souvent au Kraka, ça part d'un constat : avant pour les groupes, tout était problématique. Rien que pour envoyer un courrier, c'était galère, fallait passer par la tante qui bossait dans le service public, que du système D... alors qu'il existe des cursus d'aide clairement définis. La Rock School était déjà branchée sur le travail instrumental, on s'est dit que ces groupes auraient besoin de développer leurs projets. D'où la pépinière, destinée à accompagner les jeunes talents : même si on ne peut évidemment pas accueillir tout le monde, tout musicien qui se pose des questions, comment autoproduire son album, organiser un concert "dans la légalité", il peut se renseigner ici. Un service qui évolue d'ailleurs avec la Malette, bientôt numérique et étendue à toute l'Aquitaine, avant de s'exporter jusqu'en Île-de-France.

Sortir : Alors, vous régalez pour ce 20ème anniversaire ?
Didier
: En fait, on aurait voulu offrir une sur-pointure... mais vu les ronds, valait mieux être raisonnable, du coup on a décidé de le fêter sur tout 2009-2010, en essayant de montrer tout ce qu'on fait, niveau musical. Il y a quand même cette Soirée Surprise du 17 mars (archi-complet) où se mêleront des groupes de qualité, d'ici et d'ailleurs, et où les gens pourront profiter, boire un verre avec nous. Derrière (le 24 mars), on aura Revolver et Kid Bombardos, parfaitement explicite de ce qu'on fait, avec du rock et un groupe du coin passé par la Pépinière. Enfin, ce sera deux jours de concerts lycéens (les 26 et 27 mars), avec ce côté sympa...

Sortir : La suite peut-être, pour conclure...
Didier
: Ah la la (les yeux dans le vague)... Tu prends un oeuf, tu l'accroches à plusieurs fils, le fil billetterie, la fil buvette, le fil subvention ville, conseil général, État... Un gars vient et se demande s'il ne couperait pas son fil, s'il ne retirerait pas la compétence culture au département... s'il ne reste plus que la buvette et la billetterie, l'oeuf se casse la gueule. C'est dommage, c'est beau un oeuf. Aujourd'hui, on sait pas trop où on va en fait : pas comme il y a 20 ans lorsqu'il fallait batailler pour un projet, à l'époque les fils étaient solides, les couturiers aussi. Mais bon, je me mets à la place des politiques : ils vont aller à l'essentiel l'économie, le social... ça va être du genre "la culture je veux bien, mais je peux pas", le panel va forcément se réduire. Du coup la suite, c'est essayer de tenir un an de plus, et un an de plus après, et un an de plus après...