Sortir Toulouse : Comment s'annonce la saison 2009/2010 ?

Didier Carette : Elle s'annonce particulièrement bien pour nous en terme de public, puisqu'on a déjà quasiment triplé le nombre d'abonnés par rapport à la saison dernière ! Cela tient effectivement à des choix qui, comparés à ceux de la saison dernière, sont plus affirmés, et aussi plus risqués compte tenu du coût des spectacles que nous invitons et de nos créations. Mais je crois que dans le contexte qui est le nôtre, on est obligé de prendre des risques et d'oser, sinon l'art dépérit et s'endort pour mourir. Les choix sont évidents : La douleur avec Dominique Blanc mise en scène par Chéreau, La tempête mise en scène par Irina Brook, Don Juan monté par Régis Goudot, qui fait partie de l'équipe Ex-Abrupto, et Jean-Michel Rabeux qui est aussi un habitué... Ce sont des spectacles qui drainent un large public, un public populaire dans le sens le plus large et le plus noble du terme. Et enfin, au programme également, la reprise des Banquets, qui participe aussi de cette affluence.


Sortir Toulouse : Justement, penchons-nous un peu sur ces Banquets : quel est la formule magique de leur succès?

Didier Carette : Tout d'abord, c'est une formule que l'on a inventée avec le groupe Ex-Abrupto il y a une quinzaine d'années. On avait lancé à l'époque ce que l'on appelait le Bistrot Littéraire et Musical, qui est devenu ici le Banquet du Sorano. Cette formule est on ne peut plus simple : c'est dans une ambiance toujours très conviviale - c'est un mot à la mode mais qu'importe, c'est nous qui l'avons inventé il y a longtemps ! - que le public assiste dans une extrême proximité à des lectures théâtralisées, mises en scène, et qui véhiculent notre univers, ce qui compte aussi beaucoup. On a toujours parlé de baroque à propos du groupe Ex-Abrupto. C'est vrai, mais en même temps je préfère évoquer le terme de réalisme magique. Vous savez, c'est ce courant qui a été défini par de grands littérateurs, Gogol, Dostoïevski, Garcia Marquez... Ce courant qui est à la fois magique, comme son nom l'indique, qui fait appel à nos peurs, nos manques, ces aspirations qui font partie de l'être humain, et en même temps au concret des choses, des situations et de l'être humain. Il faut appuyer le plus possible sur la complexité extrême de l'individu, que l'on a tendance aujourd'hui à vouloir enfermer dans une pensée dualiste, avec le bien ou le mal. Non, car les choses sont beaucoup plus compliquées, grâce au ciel ! Bref, les Banquets se passent dans la bonne humeur et dans une grande complicité avec le public. C'est une soirée qui se décompose en plusieurs parties : la première partie sera consacrée à un auteur un peu épais, lourd, Borchert, un auteur allemand très expressioniste, très grave, très terrible, et en même temps très ironique.


Sortir Toulouse : Cette veine sombre, grave, c'est un peu l'axe principal de ce Banquet, avec sa deuxième partie consacrée à Brecht ?

Didier Carette : On abordera en fait un Brecht totalement méconnu, qui s'intéresse aux textes érotiques et qui en écrit lui-même d'extrêmement coquins ! Mais là aussi, toujours très drôles. Voilà, ce seront donc les deux grandes parties, mais il y aura également beaucoup d'autres choses : des chansons, des poèmes mis en musique, de la chanson française, et puis le dîner ! Le dîner qui est concocté par les gens de la troupe, que les comédiens fabriquent eux-mêmes, et que les spectateurs sont invités à partager ! Voilà donc, c'est tout cela, le Banquet. Et c'est surtout le moyen de se retrouver ensemble, et avec le public. Il y a des gens qui nous suivent depuis quinze ans, des fidèles, des inconditionnels de ces Banquets, qui n'en louperaient pas un pour tout l'or du monde ! Et ça dure depuis quinze ans : à l'époque nous étions les premiers à nous intéresser à ce type de forme, à travailler de cette façon. Depuis, il y a eu beaucoup de gens qui ont essayé, mais la chose est très difficile, et les comédiens de la troupe Ex-Abrupto sont particulièrement aguerris à ce genre d'exercice !


Sortir Toulouse : Vous qui mettez en scène principalement des romans, quels sont vos auteurs de prédilection ?

Didier Carette : Oh, vous savez, il y en a beaucoup, énormément même ! Les deux qui me viennent immédiatement à l'esprit sont Dostoïevski et Céline. Ils sont considérés comme classiques, mais il y a aussi beaucoup de contemporains que je suis avec beaucoup d'attention. Je suis de toute façon un inconditionnel de la littérature !


Sortir Toulouse : Et parvenez-vous à lire simplement pour le plaisir, ou ne pouvez-vous empêcher une petite arrière-pensée sur une éventuelle mise en scène de s'infiltrer ?

Didier Carette : Il y a un monsieur que j'admire beaucoup, Mikhaïl Bakhtine, qui a codifié la littérature en écriture dialogique et écriture monologique. L'écriture monologique, c'est Proust. Et l'écriture dialogique, c'est au contraire une écriture qui met en scène le monde, et qui utilise pour ce faire une langue extrêmement orale, une langue très parlée. Il est incontestable que quand je lis, je repère tout de suite la littérature dialogique, qui peut, quelque part, devenir du théâtre. J'ai une malle pleine de projets et d'adaptations possibles... Encore faut-il trouver le bon moment, le bon financement, le temps et l'énergie !