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expos

Résurgence

Résurgence (2021)
Pour son exposition aux Tanneries intitulée Résurgence, Martine Aballéa (née en 1950 à New York, vit et travaille à Paris), transforme, à la faveur d’une importante et inédite installation in situ, la Grande Halle en une cavité-laboratoire aux éclats étranges, propice à l’expérimentation.


Puisant dans les caractéristiques architecturales de la Grande Halle — motifs palimpsestiques imprégnés du passé industriel des Tanneries —, l’artiste y déploie un dispositif irrigué d’un ou de mille récits. Une grande vague textile bleue, scintillante et flottante, vient recouvrir, en une ondulation aérienne et ascendante, les cuves dans lesquelles circulait l’eau du Loing déviée jadis par les tanneurs. Fixée sur une montagne d’artefacts en verre animée d’agencements alambiqués de prismes, cornues, flacons de Woolf, ballons à réduction, cyclones thermostatés, ampoules à décanter, et autres flacons laveurs[1], l’onde iridescente s’élance le long de la Grande Halle pour venir se déposer, plus loin, aux pieds des visiteurs qui sont invités à en remonter le cours, à rebours.

Centrale et primordiale, naturelle comme industrielle, mais aussi plastique, cette résurgence se meut alors en songes d’extractions et d’exploitations, émergeant d’un antre plongé dans le noir à la faveur d’éclairages et de jeux de lumière cinématographiques qui viennent renforcer les irisations de la vague turquoise et des colonnes mordorées qui l’entourent, ainsi que les reflets et éclats des verres scientifiques. Renforcés par la présence d’une création sonore[2], berceuse lancinante qui remplit l’espace d’une énergie vibrionnante, ces effets de clair-obscur contribuent au développement d’une atmosphère irréelle dans laquelle l’esprit se laisse aller et divaguer au fil de l’eau.

Au sein de ce décor fantomatique teinté d’esthétique néo-kitsch où se mêlent l’authentique et le toc, Martine Aballéa met en scène une nature dénaturée — évoquée comme invoquée — et un réel déréalisé dans une forme de mise à distance propice à l’onirisme. Plongé dans une ambiance poétique et hallucinatoire qui n’est pas sans rappeler les mises en laboratoire cinématographiques de La Fiancée de Frankenstein de James Whale (1935) ou les sacs et ressacs de la mer en plastique du Casanova de Federico Fellini (1976), le visiteur est en effet invité à laisser libre cours à son propre imaginaire, entre incarnation et interprétation. Quid de cette résurgence aux allures factices, produit de ses artifices ? Quelles pourraient en être les propriétés ? Les mystères qu’elle contient livrent le regardeur à des spéculations au cours desquelles chacun est libre de « se faire des films ».

Toujours sur le fil, en bonne alchimiste et funambule, Martine Aballéa tisse donc à travers Résurgence une narration cyclique et linéaire teintée de néo-romantisme dans laquelle elle articule références et auto-références ; autant de résurgences de thèmes, de motifs et autres champs lexicaux et visuels qui parcourent l’ensemble de son œuvre, révélant ainsi de véritables obsessions dont les contours se dessinent à l’aune de rêveries ambivalentes ponctuées de clartés et de mystères, de séduisantes apparitions et d’inquiétantes étrangetés. L’artiste crée ainsi un espace-temps singulier incitant à la déambulation physique et mentale où s’entrecroisent science et art, témoignages et narrations, fragments et mises en récits, fantasmes et illusions, mémoires et expériences, signes et symboles, fixité et mouvement, dans une oscillation constante entre vraisemblance et invraisemblance, réel et fiction, et dans lequel résurgence aquatique rime avec réminiscences plastiques et résurrection artistique.

Publié le 04/10/2021


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