expo laac.jpgIl y a deux ans, Andrée Doucet présentait les gravures de son peintre de mari au LAAC, l'un des musées français les plus liés au mouvement CoBrA, notamment avec les 52 oeuvres de Karel Appel, l'un des plus emblématiques CoBrA. Sans oublier la position géographique du musée, si proche de Copenhague, Bruxelles et Amsterdam; villes ayant donné leurs premières lettres de noblesse au mouvement créé en 1948. L'exposition s'intéresse au rôle de Doucet au sein de ce rassemblement artistique qui luttait contre tout formalisme... et laac4.jpgdonc l'école de Paris. Le rôle du Français fut d'ailleurs quelque peu effacé, ce que le LAAC rétablit : « une exposition un peu pavé dans la mare », glisse Sophie Warlop, commissaire de cette exposition inédite, majoritairement issue de collections privées, « ce n'était pas simple de réunir des oeuvres rares, que les gens gardent par-devers eux, amoureusement », ce que l'on comprend, tant peintures comme colllaac3.jpgages éblouissent le visiteur. Une rétrospective de l'oeuvre de ce peintre-poète (prêtez attention aux titres des tableaux), de son passage par CoBrA, jusqu'à son ultime peinture. La couleur comme fil conducteur ! Ni figuratif, ni abstrait, des formes colorées, de la matière, du volume. On commence par une jeune femme aux traits picassiens, une table rouge inspirée de Matisse, pour vite découvrir un artiste original, rêveur et visionnaire, libéré de tout dogme. Ses collages notamment, préfigurent l'art de la récupération en vogue aujourd'hui, petits bouts de papier, de journal, de carton, d'anciens dessins, du sable de plages où il était en voyage, forment des paysages, des personnages, un petit monde fascinant... Une déambulation dans la vie de cet artiste éclairée par un guide du visiteur, des jeux pour les petits et une salle permettant des liens avec d'autres artistes, Soulages, Wahrol... On aurait pu ajouter Miro, Matisse. Doucet, un peintre chamarré que l'on ne va plus oublier !

 

VISITE AVEC ANDRÉE DOUCET

Nous avons eu l'immense privilège de visiter l'exposition Doucet en compagnie de la veuve de l'artiste, Andrée, une dame à l'oeil pétillant, simple, accessible, directe, qui nous a raconté nombre d'anecdotes sur son peintre de mari, dont nous voulons maintenant vous faire profiter !

les Doucet.jpgAinsi, lorsque l'on évoque l'influence de Picasso sur Doucet, Andrée rectifie, « c'était le maître absolu à l'époque, Doucet a été peu influencé, l'a abandonné très vite, surtout quand il a découvert Matisse : c'était pour lui une révélation. » Elle s'amuse au souvenir de leur rencontre avec Picasso, au début de la carrière de son mari : « il nous a reçu très gentiment. Sa première question : « est-ce que j'ai une influence sur les jeunes peintres ? » Doucet réfléchit, puis répond habilement : « vous représentez tout,laac 8.jpg on ne peut pas être influencé, sinon l'on ferait du sous-Picasso. » Le maître semble satisfait, et  demande à sa femme, Françoise Gilot de montrer ses toiles... C'était du sous-Picasso ! Sourire éclatant de Picasso ». En 1946, les groupes expérimentaux se forment, les surréalistes émergent. « Des discussions sans fin, des engueulades terribles. Ces groupes se rassemblent sous l'appellation CoBrA. » Pourquoi n'y a-t-il pas le P de Paris ? « Parce que justement, ces artistes se rebellent contre l'école de Paris, notamment Breton qu'ils trouvent trop théorique. Un surréalisme, pris comme art de la liberté, ensuite abandonné par CoBrA, 15 artistes, dont on aperçoit ici les 15 laac5.jpgmonographies, dont celle d'Atlan. Voilà la preuve qu'il appartenait au mouvement ! », souligne Andrée Doucet, relançant un vieux débat. Continuons la visite de l'exposition, la salle suivante renferme des toiles uniquement Sans titre, peintes dans les années 50, une peinture plus abstraite. Absence d'appellation qui tranche avec les prémices de son travail, et ces titres poétiques donnés aux tableaux : Prenez garde aux hirondelles, Temps de re-création, L'hiver hollandais... « La poésie circulait dans ses veines », et Doucet reprend bien vite cette jolie manie de titrage. Andrée Doucet continue de nous captiver, en nous racontant la façon de travailler de son mari, qu'elle conseillait, et rassurait, dans l'ombre : « La matière compte beaucoup pour lui. Il étale une couleur, attend qu'elle sèche, gratte, en remet une autre. C'est ce qui donne intensité et vibration au tableau. » Devant une oeuvre sur une planche : « nous habitions Ivry, où il restait un no man's land. Doucet y a trouvé troilaac6.jpgs planches... et a fait ses oeuvres sur planches. Il déchirait beaucoup ses dessins, ...et les gardait pour les utiliser dans ses collages. » Concernant les collages justement, couches géologiques, superposition : « l'égratignure des toiles est longue, il faut ensuite attendre que ça sèche, remettre de la couleur. Le collage est plus facile, la reprise plus aisée. Au début, il coupait le papier, ensuite il le déchirait, trouvant que cela apportait plus de volume. Ses peintures sont compartimentées, un morcelage de plus en plus présent, influencé par l'esprit du collage. De plus en plus en étage, en épaisseur. Les collages sont fait en fonction de cadres que l'on avait chinés. On disait : « Doucet, tout colle bien ! ». Les dessins de nos enfants, récupérés dans ces collages m'ont permis de les dater. Doucet récupérait tout. Il anoblissait les matériaux les plus quelconques. Des souvenirs de la vie : papiers peints d'une maison à vendre à Saint Malo, blaac7.jpgouts de ferraille, loin du papier glacé, du papier avec du vécu. » On arrive à la dernière salle de l'exposition, des tableaux plus sombres, mouvement plus torturé, nerveux, « une période tragique de notre existence, nous avons perdu un fils en 1980. La peinture est un exutoire pour Doucet, qui était très pudique. Un écorché vif », vivant entre deux familles : sa maman et son mari, et son vrai père, aisé, et sa femme, qui ne l'acceptait pas vraiment. Enfant adultère tiraillé entre deux milieux. On imagine la souffrance pour le petit Doucet, dans une société, qui plus est encore complètement corsetée, peu habituée aux familles recomposées : « la rébellion qui grondait chez Doucet sortait dans ses peintures et sa poésie. »