Sortir : Comment se lance-t-on dans un tel projet ?
Gérard Lenorman :
Quand on m'a proposé de le faire, j'ai refusé pendant un an... et puis les circonstances ont fait que j'ai rencontré sur un plateau télé un jeune artiste en plein succès, que j'aime beaucoup : il a demandé à me rencontrer, je lui ai dit que je le connaissais, j'arrive à lire dans les gens... Grégoire, il a été le déclencheur de mon oui. Quelques jours après, j'ai eu la même expérience avec Patrick Fiori : ils m'ont dit ce que je représentais pour eux, dans leur parcours et leur envie de faire des chansons. Pour moi, tout cela n'est pas dû au hasard, c'est une vraie vérité, du coup, j'ai reconsidéré mon refus. Derrière, la grande question, ç'a été de savoir qui va bien vouloir chanter avec moi. Et finalement, j'ai été littéralement happé par des gens comme ça, pour lesquels j'ai compté. Et puis tous ces gens ne font pas de la musique simplement pour passer à la télévision : chanter pour eux a un vrai sens, comme pour moi, c'est pour ça qu'ils m'ont élu.

Sortir : Et donc derrière, vous vous lancez dans l'album.
G. Lenorman :
L'album s'est composé très vite ! J'ai toujours attaché une attention particulière à mes arrangements, et là ç'a été un bonheur de revisiter ces titres façon "musique que j'aime aujourd'hui" et non à l'ancienne. D'ailleurs à ce sujet, j'ai toujours travaillé avec de bons musiciens, dès mes débuts : à 14 ans, auprès d'Yvan Julien, je suis tombé dans le jazz, il m'a fait découvrir ce monde, Miles Davis, Dizzy Gillespie, Charlie Parker... J'étais incollable là-dessus et je composais jazz, la musique me parlait déjà tout de suite.

Sortir : Et alors ça s'est bien passé le travail en duo ?
G. Lenorman :
Déjà, je voulais pas chanter avec des gens de ma génération car cela ne m'apportait rien. Les jeunes eux, n'ont pas d'âges, pas d'arrières-pensées, ce ne sont que de belles rencontres, que du naturel sans aucune distanciation, du bonheur à 100% ! Faire un duo, c'est pas chanter chacun de son côté, c'est d'abord une rencontre : on ne peux pas me distancier de ce que je sais être vrai. Il fallait que je les vois, que je les touche, qu'il y ait un vrai échange. Moi, je suis quelqu'un de très naturel et très naturellement moi, alors ces échanges, c'est la récompense de 20 ans de silence.

Sortir : Parlez-nous un peu plus de ces rencontres.
G. Lenorman :
Zaz, quand j'ai su qu'elle venait, pfff... C'est une grande musicienne, j'adore sa musique, elle a une âme. Angoon, j'    ai toujours été fasciné par cette voix qu'on qualifie chez nous de voix "extrême-orientale". Tina (Arena), la première fois que je l'ai entendu chanter "Aller plus haut", j'ai de suite voulu savoir qui c'était, pour moi c'était sûr qu'elle deviendrait une grande artiste. Et puis Florent (Pagny), y'a rien à dire, c'est un cadeau, le seul sur lequel je savais pouvoir compter dès le début : il y avait une histoire entre lui, sa maman et la chanson (Si tu n'me laisses pas tomber)... Et puis avec Florent, c'est oui ou merde, et il a pas dit merde : ç'a été le premier duo, un bonheur.

Sortir : Le résultat musical est plutôt acoustique, intimiste...
G. Lenorman :
L'idée, c'était de ne pas surproduire au contraire, faire de la musique d'aujourd'hui. Par exemple à l'origine, "De toi" partait volontairement en fanfaronnerie, c'était les années 70, on envoyait de la symphonie à tout bout de champ... Eh bien la nouvelle version est totalement à l'opposée, le côté épuré, c'est bien plus gracieux, plus magique. À l'époque ça a frappé les gens, mais moi je la préfère comme ça, je la trouve plus juste. Pareil avec "Les matins d'hiver", dans  une sorte de bossa nova, ou "La ballade", pour laquelle je suis parti sur deux accords et stop ! Quant à "Si j'étais président", c'était l'une des chansons à laquelle je ne voulais absolument pas toucher... Et puis Chico m'a fait écouter ce qu'il en a fait, ce côté franco-espagnol, sa façon de raconter, c'est toute une histoire. Quand on voit ce qu'on peut faire musicalement, c'est là qu'on se rend compte que la musique est géniale.

Sortir : Et la musique, vous êtes encore dedans depuis tout ce temps...
G. Lenorman :
Soignons ce que l'on fait comme on soigne sa santé ! Et puis les chansons sont là, aucun commentaire à faire là-dessus. Enfin si : cassez-vous la tête au moment de faire une chanson, ça vaudra le coup. Moi, je n'ai jamais abandonné une chanson, j'ai toujours chiadé tous mes textes, je n'ai pas à rougir par rapport à ça, même si parfois, on ne prend pas la bonne direction.

Sortir : D'ailleurs, certains voient en cet album le parcours de votre vie.
G. Lenorman :
Oui et non. Dans mon répertoire, il n'y a pas seulement les tubes, mais aussi beaucoup d'autres chansons : les tubes, c'est une carte de visite, mais c'est pas suffisant, le travail on le fait sur l'ensemble. Il y a un tas de chansons quasi inconnues que je joue toujours sur scène : en concert, il ne faut pas donner aux gens uniquement ce qu'ils demandent, il n'y a rien de plus décevant. En plus sur scène, on finit toujours par créer autre chose... Le seul endroit où j'existe, c'est là, sur scène.