Dans la métropole lilloise, un dense réseau d'associations suit les femmes victimes de violences, physiques et morales, incestes, dérives sectaires, violences conjugales... Ces associations proposent fin 2011 à différentes femmes de participer au projet photographique mené par Catherine Cabrol depuis plus de 5 ans, d'abord à Paris, désormais à Lille, « je suis contente d'aller ailleurs ; l'exposition a tourné en France, beau moyen d'aborder les violences faites aux femmes, qui n'est pas un sujet facile, mais on peut en parler avec dignité. 30 ans que je fais de la photo, il me tient à cœur de suivre ce sujet. » En septembre 2011, C. Cabrol rencontre et écoute, « touchée et bouleversée », les 18 participantes lilloises, elle prend le temps de les laisser raconter leurs histoires, terribles. Un mois plus tard, elle les photographie, « lentement. Il fallait que ça leur ressemble, être simple. Travail à la chambre », en noir et blanc, « pour être toutes sur un pied d'égalité. » On découvre des visages, des femmes, magnifiques, dans une pièce intimiste, le parquet craque, les lumières sont tamisées, on se plonge dans les témoignages, poignants. La photographe a apprivoisé ses modèles, acquis leur confiance, entendu leurs histoires, qu'elle retransmet dans cette exposition sensible, des photos magnifiques, des textes difficiles mais nécessaires, pour des portraits très humains, parcours chaotiques et marqués. Comme celui de Martine, 55 ans, qui pose avec sa fille Delphine, toutes deux victimes d'inceste : « on veut casser le tabou autour de l'inceste, la chape de plomb sur notre société. Les pervers comptent sur le silence des victimes ». Martine est responsable locale de l'association internationale des victimes d'inceste, participer au projet est une évidence, « je m'empare de toutes les tribunes pour parler des violences faites aux femmes ! » Elle expose les revendications de l'asso, « inscription de l'inceste dans le code pénal, suppression de la prescription, et prise en charge spécifique et globale des victimes. » Et se confie, à demi-mots, « on vit mal toute sa vie, il faut sortir de ce mal qui est en nous... » La discrète Sabrina, 31 ans, rencontre souvent Martine aux groupes de parole, qui permettent de « se sentir moins seule, plus normale, parler sans jugement ». Sabrina connaît les foyers, les familles d'accueil dès son plus jeune âge. À 9 ans, elle parle, dénonce l'inceste, les violences, l'abandon qui l'empêchent de se construire. « Mais ce sont les conséquences, aujourd'hui, qu'il faudrait juger ! Les dommages et intérêts ne m'aident pas. Je voudrais être éducatrice, mais j'ai perdu confiance en moi... » L'argent obtenu, Sabrina le dépense, « c'était de l'argent sale », elle se drogue, est incarcérée, descente aux enfers, dont elle se sort peu à peu. « Il faut écouter la parole des enfants, beaucoup d'erreurs ont été commises dans les années 80. Il faut que l'État aide plus les victimes que les agresseurs ! » L'exposition, la jeune maman accepte d'y participer, mais hésite jusqu'au dernier moment, « les gens vont me voir, ça me fait peur. Mais j'ai travaillé sur moi-même, Catherine m'a mise en confiance, c'est ma maman de cœur ! Ce travail m'a beaucoup aidée, j'arrive à m'affirmer un peu plus, enlever la honte, prendre conscience que j'existe vraiment, reprendre pied dans la vie ! »