Sortir : La douleur occasionnée par les événements d’Ouvéa est toujours présente. Pas trop tendu le tournage dans ces conditions ?
Mathieu Kassovitz :
Bien sûr, c’est d’ailleurs pour ça qu’on a mis longtemps à faire le film (10 ans). Il y avait pas mal de réticences du côté des militaires français, mais surtout chez les Kanaks, dont beaucoup sont les descendants directs de victimes. Le dialogue avec eux était donc primordial, ça a donné lieu à de nombreuses négociations… En fait, c’était un peu comme mettre la main dans une lessiveuse car chez eux, il n’y a pas de contrat écrit, il y a la "coutûme" kanak : elle permet de confronter ses idées avec une obligation d’intelligence, de patience et d’humilité. On sentait chez eux cette peur de se faire trahir une deuxième fois, mais malgré cela, Kanaks et acteurs se sont épaulés mutuellement pour ne pas abandonner le film en dépit des moments difficiles.

Sortir : Comment se sent-on  à la fin d’un tel tournage ?
M. Kassovitz :
C’est un vrai soulagement de voir le projet enfin réalisé ! Le facteur économique a également été déterminant : on est parti trois fois là-bas, les investissements financiers étaient très lourds… mais je suis content. Au final, on sent quelque chose d'universel dans cette histoire, des choses représentatives du monde d’aujourd’hui : l'opposition Blancs/Kanaks, Kaki/Multicolores (Militaires/Kanaks), Forts/Faibles… De vrais questions se posent aussi sur les évènements : pourquoi Legorjus (capitaine du GIGN au moment des faits) n’a-t-il pas pu aller au bout de sa tentative de négociation avec les Kanaks ?... On se rend compte que les élections présidentielles françaises n'y sont sans doute pas étrangères.

Sortir : Retracer l’Histoire, ça fait parti du job de réalisateur ?
M. Kassovitz :
Aujourd’hui, il y a une vraie accélération au niveau des médias, une accumulation des informations de plus en plus difficiles à filtrer... Du coup, ils se retrouvent souvent dépassés, incapables de gérer efficacement le flux de nouvelles qui arrivent de partout. Pour bien raconter les choses, d’un point de vue historique, il faut avoir du temps : un cinéaste peut donc réellement donner sa vision des choses, ce que ne font plus forcément les médias.